L’IDFA est conservé
Inventeur de l’IDFA, « l’identifiant pour les publicitaires » (identification for advertisers), Apple a profité de sa conférence développeurs WWDC 2020, qui se tenait la semaine dernière aux Etats-Unis, pour confirmer son soutien à cette technologie permettant aux acteurs de la publicité de cibler, ou de recibler les mobinautes au sein des applications.
Comme le souligne la Mobile Marketing Association France depuis déjà deux ans (1), cet identifiant est à la fois pérenne et respectueux de la vie privée car ré-initialisable, et il constitue une infrastructure essentielle pour le secteur de l’Adtech, dont l’existence ne saurait désormais être contestée sans poser de graves problèmes concurrentiels.
Un ID universel ?
Dans les premiers visuels partagés par Apple, l’IDFA englobe bien évidemment la collecte des données in-app, mais semble également poser la question de l’exploitation de ces mêmes données dans Safari, le navigateur web présent par défaut sur iOS et Mac OS.
Cette perspective d’un identifiant publicitaire pour les applications et pour le web est une excellente piste. La Mobile Marketing Association France défend d’ailleurs depuis deux ans l’idée que l’Advertising ID puisse remplacer le cookie au sein des navigateurs web, y compris sur desktop.
Mais un énième pop-up de consentement
Sans aller jusqu’à la suppression des cookies tiers au sein de Safari (2), Apple a néanmoins profité de la WWDC pour imposer aux développeurs d’applications une nouvelle pop-up de consentement, invitant les mobinautes à choisir s’ils acceptent ou non l’utilisation de l’IDFA.
Déjà existant, ce dispositif baptisée LAT (Limit Ad Tracking), sera activé par défaut cet automne, avec le lancement d’iOS 14, et accompagné d’un privacy dashboard permettant aux mobinautes de savoir, application par application, quelles données sont collectées et exploitées par les éditeurs, ce qui est une bonne chose.
Un problème d’UX avec une double CMP
Si l’initiative d’Apple s’inscrit dans un vaste mouvement, offrant plus de transparence et d’informations aux mobinautes en matière de vie privée, elle pose néanmoins problème puisque la pop-up d’Apple ne remplit pas les critères d’un consentement « libre et éclairé » définis par le RGPD pour la publicité personnalisée.
Cette pop-up s’ajouterait donc en complément des CMP des éditeurs déjà mises en place au sein de l’Union Européenne, ce qui va immanquablement dégrader l’expérience utilisateur et entraîner ce qu’on appelle déjà une « fatigue du consentement ».
Un double statut de la donnée
Outre une dégradation de l’expérience utilisateur, cette double demande va également poser des problèmes juridiques avec potentiellement un double statut pour les données collectées. Que se passera-t-il si le mobinaute dit non à la collecte depuis la pop-up d’Apple et oui à la collecte dans la CMP de l’éditeur ? Apple va-t-il bloquer une collecte de données dont le consentement a pourtant été obtenu dans des conditions parfaitement légales ?
Enfin, Apple peut-il forcer l’accès au contenu d’une application sans collecte de données, alors que le Conseil d’Etat français vient précisément d’ouvrir la voie aux cookies wall en rappelant que ces dispositifs n’étaient pas interdits par le RGPD ?
Un problème commercial avec une entreprise juge et partie
Enfin, outre ces problèmes ergonomiques et juridiques, l’initiative d’Apple pose évidemment un immense problème commercial. Bien qu’Apple soit discret sur ce point, la firme de Cupertino est désormais un géant de la publicité en ligne, notamment grâce au succès de ses Search Ads, qui permettent aux éditeurs d’applications de faire leur promotion sur l’App Store, qui reste le seul store autorisé sur iOS.
Selon Apple Insider (3), ces revenus étaient de 500 millions de dollars en 2018, 1 milliard en 2019 et pourraient atteindre 2 milliards en 2020, grâce à des taux de croissance annuelle de près de 100% !
Est-ce à cet acteur de la publicité digitale, dont l’App Store est le seul Store disponible sur le milliard de terminaux iOS, de s’imposer dans la collecte de données, la publicité ciblée ou la mesure de l’efficacité publicitaire ?
Pour les éditeurs d’applications, qui ont contribué à l’attractivité de l’iPhone et au succès de son écosystème applicatif, quelle conclusion faut-il tirer ? Que le juge est également partie prenante sur ce marché ? Que le “Gatekeeper” peut désormais … les concurrencer ?
Un écosystème qui s’interroge
Depuis l’annonce d’Apple, l’heure est en tout cas aux interrogations pour les acteurs de la publicité mobile.
« Si le tracking via IDFA est limité suite à la mise en place des nouvelles mesures d’Apple, ce sujet aura un impact direct sur le tracking des campagnes publicitaires. Même si il est encore trop tôt pour évaluer l’impact sur nos campagnes, nos partenaires de tracking comme Adjust ou AppsFlyer sont mobilisés sur ce sujet clef. Si on regarde en arrière, l’impact du LAT lors du lancement d’iOS 10 sur le secteur avait été très modéré et nous restons sereins pour la suite de nos opérations. » indique Manuel Pacreau, Directeur opération d’Addict Mobile, spécialiste du téléchargement d’applications.
« Le nouveau framework d’Apple pour la vie privée risque de réduire le nombre d’utilisateurs suivis, et entraîner une baisse des CPM sur les inventaires non suivis. Les éditeurs devront trouver de nouveaux modes de monétisation de leurs inventaires ou de mesure de l’efficacité publicitaire. Cette initiative est un ‘game changer’ pour l’industrie, mais également une formidable opportunité pour innover, tout en étant toujours plus respectueux de la vie privée. » ajoute Emilien Eychenne, co-fondateur et Global CRO d’Adikteev.
« Apple fait écho à Google sur son identifiant publicitaire. Après les cookies, ce sont les IDFA qui sont remis en question. Une nouvelle opportunité pour notre industrie de considérer l’intégration avec notre solution d’identification universelle privacy compliant ID+, pour se prémunir de l’impossibilité d’accéder à ses utilisateurs et de les comprendre. » commente Léonard Steger, Country Manager France de Zeotap, dont la société s’engage dans le “post Advertising ID” avec la solution ID+ de graph « people based ».
Alors que la Commission Européenne a décidé d’ouvrir deux enquêtes (4) contre Apple sur ses pratiques concurrentielles en matière de paiement et de promotion des applications, et qu’un projet de règlement européen pourrait forcer les géants du net à respecter leurs partenaires (5) avec une notion de “neutralité des OS”, peut-être est-il temps, pour la plus grande capitalisation boursière du monde, de s’engager dans un dialogue constructif … avec son propre écosystème.
Sources
(1) https://www.mindnews.fr/article/15711/apple-a-t-il-deja-invente-la-solution-qui-permettra-de-sauver-l-adtech/
(2) https://www.journaldunet.com/ebusiness/publicite/1492339-apple-complique-serieusement-le-tracking-in-app-le-marche-pub-s-inquiete/
(3) https://appleinsider.com/articles/18/10/22/apple-looking-at-2-billion-from-search-ad-business-alone-by-2020
(4) https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/la-commission-europeenne-ouvre-une-enquete-sur-les-pratiques-d-apple-20200616
(5) https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/pourquoi-il-faut-forcer-les-geants-du-net-a-respecter-leurs-partenaires-144162